Je suis Coulibaly



A son habitude réductionniste et gourmande de manichéisme, l’appareil médiatico-politique propose généralement sur la problématique islamiste le schéma binaire  suivant : Il n’existe en France que des musulmans bien integrés ou qui ne demandent qu’à l’être. Leur fait face un tandem terroristes (qui à tort se prétendent islamistes) – racistes (fonds de commerce du FN).
 En corollaire, il est admis que le bon moyen d'éradiquer le terrorisme consiste à frapper militairement ses bases  (tout en mettant en œuvre le maximum de ressources pour le prévenir sur notre sol, ce qui dans le principe ne mérite pas critique).

Si l’analyse était juste, il faudrait s’interroger sérieusement sur l’une des origines de la délinquance en France, et considérer par exemple quelle population remplit majoritairement nos prisons – on y trouverait d'ailleurs moins d’arrivants récents que de deuxième génération d’arrivés.
Si le moyen était efficace, on se demande pourquoi depuis le 11 septembre 2001 et la multiplication des frappes de tous ordres le terrorisme n’a fait que croître *.

Rappelons aussi :
- Que le terroriste d’un jour est parfois le vaillant libérateur du lendemain.
- Que frapper celui qui frappe légitime le régime des coups. Que la violence génère la violence (voir pourquoi s’est radicalisé Boko Haram).
- Que le terrorisme djihadiste se nourrit - exclusivement - d'islamisme. C'est au nom d'Allah qu'il assassine ceux n'adhérant pas à leurs vues fondamentalismes. Et les assassine de bonne foi - si l'on ose cet oxymore. Comme l'a bien compris Camus, le mal naît de l'ignorance.

Avec quelques autres – minoritaires – nous estimons que l’on ne vaincra la barbarie – c’est à dire l’ignorance – que par la connaissance, la compréhension, l’exemplarité.
Sur ce terrain, on ne peut guère attendre du « terroriste » qu’il vienne palabrer avec « l’occidental ». Il appartient donc à l’occidental  d’aller au terroriste, non plus en ennemi mais en… partenaire capable d'écouter. Pour cela le seule solution passe par l'empathie - ce qui commande d'« être » cet autre. Etant « Charlie », il nous faudra aussi « être Coulibaly ».
Alors la revendication du juif Albert Cohen cesse d’être sublime ou admirable - en clair, inaccessible - pour devenir intelligible, et bientôt normale. Une norme logique dans la perspective d’une terre gagnée par  l’intelligence supérieure du cœur :

“Lorsque je suis devant un frère humain, je le regarde et, soudain, je le connais, je suis lui, pareil à lui, son semblable (…) Et parce que, en quelque sorte, je suis l’autre, je ne peux pas ne pas avoir pour lui, non certes l’amour que j’ai pour mes bien-aimés, mais une tendresse de connivence et de pitié. Quelle est cette étrange tendresse de pitié lorsque j’imagine Pierre Laval dans sa prison ? Je l’imagine, je le connais et je deviens étrangement lui, pauvre méchant avide d’éphémère puissance. Oui, il a été chef de la milice et serviteur des nazis, oui il a fait du mal à mes frères juifs, et il a fait peur à ma mère, et il a envoyé à la mort des enfants coupables d’être nés de mon peuple. Oui, au temps où il était puissant et malfaisant, il méritait la mort, une mort rapide et sans souffrance. Mais maintenant il est abandonné de tous et honni, il est dans une prison, il va être jugé. Je l’imagine et je le vois, et je suis lui soudain. Je le vois en sa cellule de prison, et il a mal, il a mal dans l’asthme de sa poitrine et, en quelque singulière sorte, de ma poitrine. Il souffre et je le vois vaincu. Je vois son visage défait, son visage malade et avili d’homme perdu, et qui le sait (…). Et j’ai soudain mal que le prisonnier Laval ait mal, étendu à plat ventre sur le ciment de sa cellule dépourvue de siège,  (…) il sait qu’on le tuera. Lui, l’ancien petit enfant Pierre, l’ancien victorieux ministre à blanche cravate (…). Ô son malheur transpirant sur le ciment de la cellule, et il est seul en sa cellule, seul sans sa femme et sans sa fille qu’il aimait, seul en son malheur, et de tous honni (...). Comment ne pas pardonner à ce malheureux soudain si proche, soudain mon semblable.” “Carnets 1978 ”.

* Dominique de Villepin (Ce soir ou jamais, 26 septembre 2014) à propos de l'engagement armé français au Moyen-Orient).
"Cette croisade ne peut pas être gagnante. Nous alimentons un processus de destruction. Nous alimentons un processus de haine. (...) Nous suivons les Américains qui, comme toujours, cherchent un ennemi à travers la planète, sont engagés dans une sorte de messianisme universel. Nous, Français, ce n’est pas notre rôle. Ce n’est pas notre vocation. Nous sommes des faiseurs de paix, des chercheurs de dialogue. Nous sommes des médiateurs. Nous sommes là à contre-emploi et à contresens, entraînés dans une logique qui est sans issue. Car cette « guerre contre le terrorisme », c’est une guerre sans fin. C’est une guerre perpétuelle. Nous savons qu’elle ne peut pas s’arrêter. La haine entraîne la haine. La guerre nourrit la guerre."